Marie Dieulefit.

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit : C’est un petit val qui mousse de rayons.

Rimbaud Le dormeur du val.

Ce n’est pas pour rien que ceux qui découvrirent cette vallée, encaissée entre des montagnes et protégées de tous côtés, lui donnèrent le nom de Dieulefit.

Une terre riche et de l’eau en abondance, tout ce qu’il fallait pour faire pousser des légumes et permettre une vie agréable, car même le mistral était miséricordieux.

Protégés de tous les conquérants de cette terre ne tardèrent pas à construire ce village, autour de deux communautés, catholiques et protestants.

Une sorte de guéguerre demeurait, guerre d’influence, guerre de territoire…

Et puis tout cela cessa lors des évènements des années 1940, durant lesquels tous s’unirent de manière solidaire pour accueillir et protéger les victimes potentielles du nazisme.

Cette période ne laissait pas place à l’individualisme, il fallait lutter ensemble, et ce fût le credo.

Et puis le temps passe, et les derniers acteurs de cette période disparurent, pour devenir souvenir. Petit à petit, et c’est logique le lien entre les personnes devint plus tenu, et certains, les étrangers, ne furent plus pain béni mais étranges.

Les valeurs de Dieulefit demeurèrent in abstracto, et sont devenues des sortes de cibles, de cerfs-volants dont on ne sait pas bien qui tire les ficelles.

Certains profitent de ces valeurs pour se les approprier, les mettre en évidence comme justificatifs de leur attitude, comme par exemple ceux qui se promènent chez les autres, en fermant soigneusement leurs propres espaces.

Lors de la première crise liée au confinement Marie a beaucoup rit de voir ces personnes en âge d’être grands-parents se comporter comme des enfants de maternelle, s’amusant à tricher sur les heures de sortie, corrigeant les attestations avec ces stylos billes gommant et permettant de réécrire et de gagner 1h.

A question posée pour ce pourquoi, la réponse était déjà une certitude : Dieulefit comme d’autres lieux était et est peuplé de spécialistes en épidémiologie. Tout le monde s’envole, distille le doute sur l’ARN messager, une nouveauté de 70 ans…, réaffirme l’inutilité du masque et ou des gestes barrière.

Et voilà que les choses s’enveniment avec le pass(eport) sanitaire qui va devenir vaccinal, et ne voit-on pas les vaccinés snobés voir agressés.

Marie a eu une discussion magique avec des employés en contact avec le public, et qui discouraient à l’air libre, parce que dehors on ne risque rien. Pas de masque pas de gel.

Le discours classique : le vaccin ne sert à rien, moi j’ai un faux pass et je ne suis pas malade. Moi j’ai eu le Covid après m’être vacciné, ce qui prouve que le vaccin ne sert à rien, voir donne le Covid.

Avec beaucoup de patience Marie explique, illustre, et les trois larrons tournent les talons, afin de retourner vaquer à leurs contaminations.

Elle se souvient d’un autre épisode sur la vaccination par l’homéopathie, méthode souveraine pour échapper à la grippe, et de son incapacité à convaincre le mur face à elle, les mentors qui expliquent que jus de carotte et thé glacé protégeaient mieux que les vaccins et autres fadaises.

Il existe deux clans maintenant, les vax et les antivax, et ce sont les antivax qui remettent en cause ceux qui se vaccinent, chaque clan a son bar, et bien sûr il n’y a aucune réponse politique à cette césure, les élus ne semblant pas mobilisés.

Marie pense que cela illustre cette lente dégradation liée entre opposition à l’inique et toute puissance, messages erronés, rumeurs et complotisme, réaction à toute avancée technique comme attitude souveraine.

La démocratie est sans doute ce qui a le plus besoin de se renouveler par une remise en cause des certitudes individuelles au profit de valeurs collectives partagées.

Du coup les paysages perdent de leur luminosité, l’air de sa vigueur, et certains las d’être montrés du doigt décident de s’en aller, pensant peut-être un peu rapidement que les jeux sont faits. Marie se demande si elle va résister ou fuir, s’enfuir pour retrouver le calme.

Et toujours cette attitude d’enfant tout puissant qui fait que les lieux communs se voient chargés de panneaux revendiquant une alliance entre les deux versions du sujet.

Une tristesse infinie envahit Marie, et cette tristesse coule comme un fleuve, et donne le sentiment que le poisson pourrit par la tête. Des sacrifices des anciens il ne reste que les cendres que la pluie petit à petit efface. Cette ville qui chercha longtemps a être reconnue comme juste parmi les justes a tourné le dos à l’unité qui avait fait sa force.

Marie pleure, et entre deux larmes s’assure qu’elle ne perdra plus son temps.

20220110

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