Marie Piapiate

Suite du texte du 19 juillet qui méritait des éclaircissements.

Marie pensait que le bourg était dépourvu de rumeurs.

En fait dès son arrivée, elle avait été cataloguée, par les signes extérieurs de richesse ou d’appartenance. Véhicule, vêtements, lieux fréquentés, manière de se coiffer, ceux salués, ceux simplement croisés.

Elle ne s’aperçut que beaucoup plus tard de l’existence de radio de la rue, qui occupaient principalement deux catégories de femmes :

            – Les mangeuses de graines.

            – Les mangeuses de crucifix.

Elles se regroupent sous le générique de piapiateuses. Et piapia, et piapia…

Terriblement actives elles piapiatent sans fin et sans fondement.

Elles propagent les rumeurs.

A peine Marie reçoit-elle son frère et s’affiche avec lui, que :

  • Dans un premier temps elle a un amant
    • Dans un deuxième temps que c’est bien commode de dire que c’est son frère, mais en-a-t ’on la preuve…

Les piapiateuses sèment la rumeur sans jamais se contredire.

Mais qui sont-elles ?

Une brève étude de la sociologie de ce groupe met en évidence des caractéristiques assez générales il est vrai, mais qui permettent d’identifier l’ennemi assez rapidement.

  • -Ce sont le plus souvent des femmes. (Si non on les nommeraient les piapiateurs)
    • Les quelques hommes qui adhèrent au groupe sont dépourvus de parole et d’idées, résultat d’un castration méthodique depuis des décennies, ce qui dans les groupes de marche pourrait se symboliser par « marche et tais toi ».
    • Elles ont des activités groupales car incapables de développer une démarche personnelle, car ce qui est important n’est pas de faire les choses mais d’avoir des témoins.
    • Les activités identifiées sont la marche, la chorale, le yoga, le qi gong, avec comme points communs :
      • En parler
        • Trouver des adeptes dominables
        • Y insérer les débats nés du vent.

C’est ainsi que sont nés des débats de type complotistes « super importants » :

  • De l’inefficacité du vaccin contre le Covid : en fait il suffit de respirer doucement et le virus ne peut pas entrer dans les poumons, avec une gourou professeur de Yoga qui estimait que sa salle était assez aérée pour qu’il ne soit pas nécessaire de porter un masque et qui fut une des premières victimes, mais bien sur décédée d’une autre cause…
    • Le cerveau est dévoré par les ondes de la téléphonie portable, donc la nécessité de ne plus utiliser de téléphones portables, et de mettre les boitiers internet en filaire.
    • Les compteurs connectés d’EDF sont là pour nous espionner … il faut donc les refuser, car, mariés avec la 5G et le vaccin, « ILS » peuvent tuer à distance.
    • Et puis tous les ragots sur les appartenances des uns et des autres : il se dit juif, mais je l’ai vu parler avec le Pasteur. Trouvez-vous normal qu’un homme de couleur soit nommé Curé de notre village ? Le médecin qui vient de s’installer pratiquait des avortements. C’est le dernier communiste du village car il ne pratique aucune religion. Mais qui est le père de l’enfant de la jeune potière ?
    • Pas étonnant qu’un tel ou une telle soit seule, avec les réflexions qu’elle fait…

Toutes ces personnes ont un lien commun, la solitude.

Moches et mal fagotée, elles ne peuvent imaginer qu’un homme s’intéresse à elles, et déclarent donc que ces derniers ne présentent donc aucun intérêt.

Et c’est la « lutte finale » pour être élue, désignée, se parer du titre (que l’on dit n’avoir pas demandé, mais qui a été imposé » de Présidente, de tout et n’importe quoi, mais être la première, la Chef, celle que l’on doit obéir. Et elles n’hésitent pas à affirmer que tout le monde leur obéi.

Marie pense que même au cimetière les ragots poursuivront leur chemin, et ne voit comme seule solution, celle de passer dans le camp des ennemies, celles qui ne participent pas, ne votent pas, ne saluent pas, n’affiche pas cette fausse solidarité qui laisse transpercer le fait que si l’une fait un faux pas, l’autre pourra prendre sa place.

Mais voici les nièces de Marie qui viennent séjourner pour quelques jours. (Pour les piapiateuses, ce sont des enfants cachés, mais ce que j’en dis). Les fillettes sont intriguées des sourires entre Marie et leur mère. 

Elle reçoivent donc leur premier cours d’identification des piapiateuses.

Comment les identifier ? 

Point 1 :  Observer la démarche en quête d’information.

Leur démarche est certaine, cependant lorsqu’elles croisent un écho possible du piapia, elles ralentissent et s’approchent en minaudant. « Bonjour, je ne t’avais pas reconnue, cette robe te va si bien », ce qui se traduit en langage non piapia par : tu as prix un coup de vieux, et t’est sapée comme un sac ». « C’est toi qui l’a faite (la robe) ? Sans patron ? Alors là bravo. Traduction : on voit bien que ça sort de ta tête, et que tu l’as imaginée, sinon elle serait correcte, et puis le choix d’un tissu pareil, personne de sérieux n’aurait osé. (Une variante sur le choix du tissu est : encore un rideau du salon qui a trouvé un recyclage).

Là l’information est claire et maitrisable !

Elle a vieilli, elle a peut-être un cancer pour vieillir comme ça si vite.

Elle se couds ses robes donc elle n’a plus d’argent pour s’en acheter, avec comme variante : elle a tellement grossi qu’elle ne trouve pas taille.

Elle a un gout terrible pour choisir ses tissus. Tu imagines chez elle ? 

Une fois cette conversation entendue, il faut suivre la piapiateuse majeure la première, et là les choses peuvent se gâter. Et on attaque le point 2 : la transmission.

La piapiateuse majeure se sent détenir une information vitale, et elle ne peut éteindre le feu qui la ronge, lui dévore la plante des pieds. Il faut absolument en parler, et si possible à des bavardes. Et elle n’hésite pas à accélérer la marche à s’onduler pour se faufiler entre les groupes de passants. Il faut donc être vigilant et attentif pour ne pas être semé.

Bavarde : la bavarde est une personne à laquelle vous pouvez confier n’importe quel secret, et si vous prenez la précaution de commencer votre confidence par « garde le pour toi », à peine avez-vous tourné les talons que tout le village est au courant.

Légèrement essoufflée, quelque peu rougissante, la piapiateuse majeure, vient de rencontrer trois piapiateuses qui vont devenir des piapiateuses relai, ne pouvant se considérer comme secondaire, car ce qu’elles vont colporter va devenir issu de leur observation.

Les cabas sont posés à terre, et les mains s’agitent comme les mots des lèvres. En certaines saisons, la buée les contraint même parfois à en ôter la buée.

Pourquoi des lunettes ? C’est un élément qui flatte leur capacité de séduction : femme à lunette, femme à quéquette.

Et piapia et piapia. La majeur informe, et tout d’un coup elle trouve un argument sous forme de détail, qui renforce la valeur de son histoire. Par exemple : « En plus elle s’est même rasée sous les bras, c’est vous dire comme c’est louche. »  Les secondaires en rajoute, car elle pense elle aussi avoir croisé l’indélicate à la robe neuve. « Vous avez vu ce qu’elle porte comme chaussures ! des sandales de corde ! alors que les nu pieds sont si seyant… Peut-être qu’elle a un PROBLEME (le mot est lâché) et qu’elle ne peut pas montrer ses pieds.

Le premier sujet est épuisé, et la majeure ne veut pas laisser qui que ce soit prendre la relève sur la première place. Elle relance sur un classique : les signes extérieurs de richesse, la Jacqueline qui a encore changé de voiture, la Fernande qui va chez le coiffeurs toutes les semaines, comme si elle ne pouvait pas se laver ses cheveux elle-même (peut-être qu’elle n’a pas d’eau chaude chez elle ? Ajoutons que Jacqueline et Fernande sont deux grand mères heureuses de recevoir avec leurs époux leurs petits enfants en vacances.

La discussion s’épuise… L’une d’elle veut se sortir gagnante de cet affrontement verbal, et déclare avec toujours le préambule du secret qui va permettre à l’information de circuler avec le turbo : « Vous me connaissez, je ne suis pas curieuse, mais hier, alors que je me promenais rue « la garde de Dieu », en devant le mur de la maison aux volets bleus (vous savez la maison dont on ne sait pas qui l’habite », et bien sans le faire exprès j’ai entendu un homme qui disait à une femme (je ne sais pas si ils sont mariés), et bien qu’avec cette chaleur il allait dormir nu. Vous vous rendez-compte des débauchés ! Et s’ils dorment nus, je me demande ce qu’il lui fait à cette femme, qui en fait doit être sa maitresse ». Explication pour les non addict des graines : quand on dors seule depuis des décennies, l’imaginaire de la libido jaillit hors de sa cage comme une châtaigne dans la poêle.

Il existe une variante circonstancielle : ce n’est pas en se promenant, mais en buvant un sirop au Pub avant d’aller promener le chien, que cette histoire a été entendue. En fait de sirop à l’orgeat, il s’agit belle et bien d’une double mauresque.

Point 3 : laquelle suivre ? , car maintenant l’information va être diffusée par au moins les trois récipiendaires. La majeure, elle, satisfaite de son propos, et qui lui a même peut-être provoqué une certaine excitation, humidifiant sa culotte en son entre-jambes, a quelques chances de rentrer chez elle, la satisfaction du devoir accompli, afin de pouvoir voir ou revoir un ou deux épisodes de « Plus belle la vie » en particulier celui ou Jean Pierre avoue à sa femme Isabelle qu’il a couché avec sa secrétaire Maelys et  que cette dernière est enceinte et veut garder l’enfant, et qu’Isabelle lui annonce qu’elle part avec son frère (de Jean Pierre) Bernard. Rien que d’y penser elle salive de cette imbroglio de fesses ramollies et consentantes. Tout cela va peupler ses rêves.

Le choix se porte donc sur les trois autres, et qu’importe celle choisie : c’est un ravissement de la voir circuler, une véritable abeille butinant toutes les oreilles connues, et dévidant dans ces dernière le récit initial enrichi à chaque relation.

A peine une heure passée que nous faisons l’analyse au Bar et Vous, certains que toute la mauvaise pensée du village savoure, cette anecdote qui est devenue un fait divers, puis un enjeu. Les filles sont pliées de rire et posent à leur mère la question « Tu vas devenir comme çà, toi ? » « Si c’est le cas il faudra m’abattre ». Rires de nouveau.

Marie explique que ce qui est dangereux est lorsque ces personnes se trouvent face à des responsabilités, comme par exemple d’être conseillères à la Mairie. Là leurs phantasmes et leur extrémismes font foi de leur douce folie, et surtout de vouloir imposer aux autres leur vision du monde. Elles commencent par « il faut » espérant ainsi emmener tout le monde avec elles. Rien ne bouge, on répète, on attends. Il n’y a pas consensus mais abandon par lassitude.

Les absurdités totalitaires et sectaires prennent le droit de cité. Moi je ne me déplace qu’à pied, il faudrait donc que tout le monde face comme moi …

Mais c’est dangereux clament les filles.

C’est surtout bête reprend Marie.

Donc : Petite maison dans la montagne, autonomie et autosuffisance sont une règle qui semble acceptable…

Salut les mangeuses, les portes de vos enfers sont ouvertes sur terre.

Dieulefit

2022

08 19

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